Graham Coxon dans Magic! mai 04 @ rock stArs Are not cool

magic - mai 2004

 

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Frêle, timide, gauche et contrarié, le Coxon d'alors a grise mine. Alors,
c'est en 1997, quand il prend la parole dans Blur pour la première fois
sur la complainte lasse You're So Great. À mille lieues de la morgue
je-m'en-foutiste affichée par ses stars de confrères, ces maigres
débuts vocaux au sein du groupe dont il maintient l'échafaudage
depuis près d'une décennie stigmatisent l'urgence d'une carrière
solo. Entamée un an plus tard avec The Sky Is Too High, auquel
succèdent trois albums de même facture lo-fi, elle se trouve enfin
valorisée aujourd'hui par cet excellent Happiness In Magazines.
Autant dire que l'aventure semblait loin de porter ses fruits. Ces
dernières années passées à l'écart de Blur, avec la cruelle répudiation
publique que l'on sait, prenaient bel et bien l'allure d'une traversée du
désert, menée la soif au ventre. Sobre, célibataire mais père d'une
petite Pepper, notre "moins que zéro", un rôle où il a longtemps aimé
se complaire, s'est progressivement métamorphosé en héros. Si le-
guitariste-Ie-plus-doué-de-sa-génération n'a rien perdu de sa réserve
légendaire, c'est avec un sourire aux lèvres et une toute nouvelle
étincelle dans le regard qu'il semble désormais embrasser son destin.
Finie la pauvre petite chose blessée qui peinait à crier son mal-être,
dents serrées contre guitares acérées, fini "monsieur lo-fi", comme il
s'était autobaptisé avec humour dans le titre provisoire de cet album.
"Sur mes quatre premiers disques, j'essayais tant bien que mal de
reprendre le contrôle de ma vie, que j'avais jusque-là menée
n'importe comment. A force d'être au four et au moulin, j'avais
sabordé pas mal de morceaux. Et puis, un joUr un ami m'a expliqué
que je devais faire le maximum pour mes chansons parce que je ne
faisais de mal à personne d'autre qu'à moi. J'ai réalisé qu'il avait
raison. Que si je ne me reprenais pas, je n'aurais que mon Jack
Russell, mon vieux fauteuil et ma pipe à crack pour sécher mes
larmes! (Rires.)" Aujourd'hui, Graham chante. Et il chante bien.
Aujourd'hui, Graham décrasse ses guitares. Aujourd'hui, Graham
endosse son éternel tee-shirt rayé tel un costume de super-héros. À
la frustration qui transpirait de chacune de ses reuvres précédentes
succède une énergie sexuelle qu'on ne lui connaissait pas, témoins
l'extraordinaire poussée de testostérone du single Freakin' Out, la
voluptueuse ballade orchestrée AIl Over Me, ou son ode fiévreuse à
l'actrice teenage Shannyn Sossamon, Spectacular. Certains l'auront
même croisé au détour du site Internet de rencontres Friendster où il
affiche une liste impressionnante de nouveaux amis... C'est tout de
même une plus ancienne relation, en l'occurrence le séculaire
producteur de Blur, Stephen Street, qu'il a sollicitée pour le guider
sur ce nouveau sentier (de la gloire). "Il était tout indiqué dans ce rôle
car c'est un mec franc et déterminé. C'était le seul à pouvoir
comprendre ce que je recherchais en termes de sons, mais aussi à
m'aider à améliorer mon chant sans que je me sente complexé. Je
n'aurais pas pu me lâcher aufant si ce n'était pas mon ami. Ma
timidité a complètement handicapé mes albums précédents, c'est
stupide. On me fait assez de compliments sur ma musique pour que
je m'empêche sciemment d'être bon! Avant, j'avais trop de choses à
prouver tant au niveau de l'écriture que de mon indépendance vis-à-
vis de Blur. Je n'ai jamais eu autant confiance en mes possibilités
qu'aujourd'hui". Après avoir tant de fois pris le contre-pied
systématique de son groupe-matrice, préféré emprunter des pistes si a
stériles que même le fan originel ne suivait plus, Coxon se
réapproprie enfin son répertoire. Folk orchestral et hymne punk,
romance électrique et pop 60's, tous ses chevaux de bataille et son
savoir-faire se trouvent réunis, quitte à parfois susciter des accents
familiers -ce Bittersweet Bundle Of Misery pas si éloigné de Coffee
And TV. Autrement dit, toute ressemblance entre Happiness In
Magazines et d'autres faits d'armes d'un groupe préexistant serait
purement... Tiens, justement, serait-elle purement fortuite ? Est-ce
que Graham Coxon n'est finalement pas devenu plus calife que le
calife ? "On peut dire que c'est un album de Blur sans les sons de
claviers comiques et les chreurs dégoulinants. (Sourire.) Sauf
qu'aucun d'entre eux n'aurait pu l'écrire car il reflète exclusivement
mes racines. Alors que, honnêtement, je pense qu'ils ont brûlé les
leurs il y a bien longtemps et qu'ils ne savent d'ailleurs plus très bien
où elles se trouvent. À travers ce disque, je lance plein de pistes
différentes: il y a du Jimi Hendrix sur Girl Done Gone, du Ray Davies
sur Bottom Bunk, du Scott Walker sur Are Vou Ready, du Talk Talk sur
Ribbons And Leaves, du Stooges sur Spectacular, du Only Ones sur
No Good Time, du Ruts sur Freakin' Out Il y a aussi du Creation et du
Who sur Hopeless Friend, et peut-être même du Beck sur All Over
Me". Une surabondance d'influences étonnante de la part d'un
musicien qui s'était jusqu'ici fixé une austère ligne de conduite
américaine. Si l'ascèse semblait aussi régir les ventes de ses albums,
qui se seront rarement chiffrées au-delà de trois zéros, ce nouvel
opus devrait connaître un destin tout différent dans les bacs. Élu
"single of the week" par le NME, entré au top 40 des charts anglais
alors qu'il n'était d'abord disponible qu'en vinyle, Freakin' Out augure
de beaux lendemains à cette oeuvre au potentiel commercial
indéniable. Car c'est bien là la vraie surprise. Si cet engouement
médiatique et public résulte autant d'un intérêt artistique que d'une
soif de sensationnalisme, la nouvelle n'en reste pas moins
révolutionnaire: ainsi, Graham Coxon, loser magnifique et héraut de
l'underground s'il en est, arrive à vendre des disques! "Pour la
première fois, j'ai dit aux gens de mon label que, s'ils aimaient mon
album, je serais prêt à faire tout ce qu'il fallait pour le défendre.
Jusqu'alors j'étais maladivement effrayé par l'idée de tourner, de
voyager, mais je me suis totalement débarrassé de mes phobies.
Arriver en concert devant un public assis avec un set acoustique de
cinq morceaux alors que Bert Jansch vient juste de quitter la scène,
c'est un acte d'une extrême perversité, pourtant. (Rires.) Mais c'est le
genre d'exercices que je veux désormais m'infliger pour progresser
et ne plus limiter mon champ d'expériences".


ACTE CRIMINEL
Une chose est sûre: l'humiliation publique infligée par ses anciens
faux frères lorsqu'ils l'ont écarté de Think Tank a dû donner de
sacrées ailes à Graham. Consciemment ou non, il s'est surarmé pour
faire la nique à Damon Albarn, toujours (em)pressé d'enterrer les
velléités artistiques sans doute trop fêlées de son binoclard de
guitariste. Pour finalement se faire battre à son propre jeu. "J'ai sorti
mon premier album solo parce que ça commençait à être sacrément
la routine de travailler sur ses morceaux. Je savais que personne
dans le groupe ne voudrait toucher à mes chansons, d'autant
qu'aucune ne possédait la couleur habituelle de Blur. Du moins, c'est
ce que Damon m'a clairement dit quand je lui ai fait écouter pour la
première fois en studio. Mais au final, je suis content qu'il ne les ait
pas acceptées car c'était mes enfants, mes petits brouillons
enregistrés en cinq jours. D'ailleurs, au départ, je ne voulais même
pas les sortir, en tout cas pas sous mon nom. Je ne le regrette pas,
même si je reste assez sceptique au sujet de mon deuxième album,
The Golden D. C'était vraiment une expérimentation nourrie par mes
fantasmes de punk et de skate". Et par sa fixette pour l'un de ses
représentants les plus cultes, Mission Of Burma, qu'il aura découvert
grâce à une cassette maison, amoureusement concoctée par une ex-
petite amie, en 1993. Un choc dont il ne se remettra pas, allant même
jusqu'à reprendre sur ce même deuxième opus les morceaux les plus
emblématiques du quatuor de Boston, Fame And Fortune et That's
When I Reach For My Revolver. "Sincèrement, c'est le seul groupe
qui m'ait jamais ému aux larmes. Musicalement, ils ont réussi un
mélange de poésie et de puissance rythmique comparable à ce que
faisaient Joy Division, The Fall ou Gang Of Four, même si ces derniers
étaient plus faciles à assimiler, à danser, à écouter. Avant de
reprendre leurs morceaux, j'avais juste entendu la version de That's
When I Reach For My Revolver par Moby et ça m'a conforté dans
mon entreprise. Pour moi, ça tenait de l'acte criminel, il fallait
absolument que je répare le mal qui avait été fait. (Rires.) J'ai fini par
rencontrer Clint, Peter et Roger quand ils sont venus jouer au Garage
de Londres en 2002. Ils m'ont proposé de faire le Dj avant et après le
concert puis de les rejoindre sur scène pendant Fame And Fortune.
J'étais très nerveux à cette idée car j'ai réalisé à quel point les fans
pouvaient être passionnés par leur groupe préféré. (Sourire.)"


RÉSURRECTION
Ces derniers temps, pour une poignée d'aficionados, l'excitation est
à son comble. Car un quatuor de Boston s'est reformé. Un quatuor
sans lequel l'histoire de la musique punk-rock-arty-bruitiste (il n'y a ici
aucune mention inutile) n'aurait sans doute jamais pris les mêmes
virages. Ne serait pas allée aussi loin dans son jusqu'au-boutisme
sonore (sonique), dans ses fantasmes mélodiques. Il a suffi de
quelques années -très peu -pour que ces gens-Ià suscitent pléthore
de vocations. Ils furent, plus que tout autre, le Velvet Underground de
la génération post-77. En l'espace de quatre ans -entre février 1979
et mars 1983, pour être précis -, d'une poignée de singles, d'un mini-
Lp et d'un album (auxquels on peut ajouter un live et une compilation
posthumes), ils ont laissé une trace indélébile dans la saga de la
scène indépendante d'outre-Atlantique. Et d'outre-Manche. Pour
paraphraser Elliot Murphy au sujet de leurs aînés new-yorkais, on
pourrait écrire à leur sujet: "Peu des gens les ont écoutés à l'époque.
Mais tous ont formé des groupes". À l'occasion, si l'on vous
demande le point commun entre Michael Stipe de R.E.M, Thurston
Moore de Sonic Youth, Bob Mould de Hüsker Dü/Sugar, Yo La Tengo,
Moby, Soul Asylum ou The Spinanes, sachez dorénavant que la
réponse tient en trois mots: Mission Of Burma. La réunion de ce
groupe hors-norme n'a rien à voir avec un mercantilisme qui règne
trop souvent en maître dans de telles occasions, tant le terme culte
n'a jamais semblé aussi pertinent que dans le cas présent. Pas de
best of clinquant (ici, le terme paraît vraiment déplacé), pas de
concerts en première partie d'artistes mastodontes. Juste une envie
retrouvée, une intuition indemne. Un talent, une soif de découvertes,
d'expérimentations intacts. C'est à l'aube de l'année 2002 que MOB a
repris du service. Pour un unique concert new-yorkais. Un concert
qui en a appelé un autre. Et ainsi de suite. De la formation originelle,
ils sont trois: Clint Conley (basse, chant), Roger Miller (guitare, chant)
et Peter Prescott (batterie, chant). Seul manque à l'appel Martin
Swope, qui émaillait de boucles et autres incursions électroniques
bizarroïdes ces compositions abruptes. Pour les besoins de la scène,
il a été remplacé par Bob Weston, surtout connu pour être le bassiste
de Shellac. Un signe que, par ici, l'intransigeance règne en maître.
Une intransigeance que vient parfaitement illustrer ONoffON, nouvel
album à paraître début juin, quelque vingt-deux années après son
prédécesseur jusque-là orphelin, l'ébouriffant Vs. Brûlots renouant
avec ce son... art-core si particulier, ballades rustiques, flèches pop
sont au programme d'un disque saisissant, signé par un groupe
toujours aussi captivant. "Le seul qui m'ait jamais ému aux larmes",
selon les propres mots de Graham Coxon, donc. À l'occasion d'un
concert de Mission Of Burma à la très select salle ICA de Londres,
l'envie était trop forte pour ne pas demander à ce fan éperdu de
mener à bien, une fois n'est pas coutume, l'interview de ses idoles.
Une... mission qu'il a fini par accepter, non sans s'être fait tirer
l'oreille. Et pour cause...


Graham: C'est très bizarre car je n'ai jamais interviewé
qui que ce soit de ma vie!
Roger Miller: Ah, alors on est peut-être pas le meilleur groupe
avec lequel commencer! (Rires.)

G : Dans quelles circonstances avez-vous formé Mission
Of Burma ?
J'ai quitté le Michigan en 1978 pour suivre mes frères à Boston.
J'étais un peu l'homme à tout faire de leur groupe, Destroy All
Monsters. Très vite, j'ai rencontré Clint qui officiait dans The
Moving Parts. Ils venaient de perdre leur guitariste et j'ai simple-
ment répondu à leur petite annonce.
Clint Conley: Au bout d'un moment, on s'est rendu compte qu'on
avait envie de faire un truc ensemble, juste tous les deUx. Et puis,
on est tombés sur ce gugusse qui jouait dans une autre formation
locale, The Molls...
Peter Prescott : On faisait tous partie d'une nébuleuse art-rock où
tout le monde se connaissait et se respectait.
RM: En fait, on avait la même envie de dénuder notre musique,
qui était encore assez influencée par les 70's. Pour résumer, on
avait une démarche punk mais des résidus...
CC: ...progressifs !
RM : Notre cheval de bataille, c'était le retour au mi. Des groupes
comme The Slits nous montraient la voie: il ne fallait pas en savoir
plus que ce petit accord pour créer quelque chose d'intéressant.
C'est devenu le fondement de Mission Of Burma en 1979. Eh oui,
à Boston, on a été plus lents à accrocher la vague punk qu'à New
York. La ville était divisée par deux tendances. D'un côté, il y avait
ce qu'on appelait le rock'n'roll "meat'n'potatoes", représenté par
The Real Kids, DMZ ou Unnatural Axe. Et de l'autre, ça grouillait
de groupes plus arty, comme Human Sexual Response ou The Girls, qui traînaient à la salle de concerts Mass Art. Nous, au final,
on se trouvait un peu à cheval entre les deux.

G: Le microcosme était-il tel qu'il se nourrissait de lui-même
ou subissiez-vous tout de même une influence anglaise ?
CC: On écoutait aussi bien des groupes anglais qu'américains...
En fait, on écoutait une sacrée chiée de groupes tout court !
PP: Même si je pense avoir été le plus anglophile de nous tous.
RM: Il y a eu plusieurs phases. D'abord, avec les Ramones et les
Sex Pistols, on s'est rendu compte qu'on pouvait faire des disques
sans solos de guitare. Puis il y a eu la compilation No New York,
PIL et Wire.

G: La musique classique vous a aussi inspirés ?
PP: Ça, c'est le domaine de Roger.
RM: J'ai choisi la musique classique comme Majeure à l'Université. J'aurais pu décrocher mon diplôme en composition, mais j'ai
quitté l'école pour finir par me retrouver dans Mission Of Burma.
CC: Où tu as plutôt choisi de décomposer...
RM : Exactement! Cela dit, parmi mes musiciens préférés, il reste
Béla Bartok, John Cage, Karlheinz Stockhausen, Erik Satie... Je
n'irai pas jusqu'à dire que cela a été déterminant pour notre son
mais cette expérience a influencé la structure de mes chansons, plus
complexes et moins orthodoxes que dans le rock traditionnel.
PP : On a tous adoré le punk pour cette raison: parce que ça cassait
les clichés, les règles qu'on subissait depuis tant d'années. Les gens
en ont eu tellement marre qu'ils ont décidé de tout reprendre à zéro
On entendait des sons qu'on n'avait jamais entendus jusqu'ici.
RM : A l'époque, j'avais lu un article du NME sur les Sex Pistols qui
disait en substance que ces types étaient en train de galvauder le
rock'n'roll. Je me souviens d'avoir marqué un temps d'arrêt, un peu
choqué à cette idée, avant de comprendre en un éclair de seconde que
c'était génial! Qu'est-ce qu'ils auraient bien pu galvauder vu l'état
déplorable dans lequel la musique se trouvait alors ?

G: J'ai toujours vu plus de poésie dans ce que vous faisiez
que dans le punk rock anglais, finalement plus bas du front.
PP: Rétrospectivement, c'est vrai qu'on peut voir cela comme une
régression plutôt qu'un réel processus intellectuel.
RM : Il faut se méfier des clichés. Regarde, tout le monde s'imagine que les punks avaient des crêtes alors que, finalement, ça ne
concernait qu'une infime poignée de gens. (Sourire.)

ÉROTIQUE
G: Comment se déroule votre quotidien aujourd'hui ?
PP : Je m'intéresse énormément au cinéma. J'adore David Cronenberg
RM: Moi je suis en train de lire At Swim-Two-Birds de Flanr
O'Brien. Quand j'étais à Londres, il y a sept ans, avec mon groupe
Alloy Orchestra, je m'intéressais beaucoup aux livres déconstruits
de ce genre. Je m'installais dans un pub près de la Roundhouse
là où j'imaginais que Robert Wyatt ou Syd Barrett avaiènt pu
boire des années auparavant... Sinon, quand je m'ennuie, je pratique le frottage, à l'instar des surréalistes français des années 30
En fait, je me frotte contre les murs et j'en fais une composition
C'est très érotique. ..Et très illégal si tu poursuis l'activité dans le
métro, par exemple. (Rires.)
CC: Même si par nature la littérature me passionne toujours, j'ai
déjà une vie très remplie car je suis producteur pour une chaîne
de télévision de Boston et j'ai une famille... Ça me laisse peu de
temps pour le reste.

G: Je connais ce sentiment. J'aimerais pouvoir dévorer
plus de livres, mais j'ai un enfant de quatre ans et je ne
vis pas avec sa mère. Mon temps se divise donc entre
une activité paternelle intense et des périodes
de flottement passées à me demander ce que je peux
bien foutre sur cette planète! Sinon, comment avez-vous
décidé de vous reformer ?
RM: C'est un peu un mystère...
PP: Tous les ans, quelqu'un faisait la même suggestion: "Les gars,
vous devriez vous retrouver et retravailler ensemble". Et à chaque fois,
notre réponse était la même: "Pourquoi voudrait-on revenir sur ce
qui a déjà été vu et revu il y a vingt ans ?" Mais un jour, on nous a
fait une proposition impossible à refuser, ce qui a un peu ébranlé cette
idée. On a commencé à y réfléchir... Pendant tout ce temps, Roger et
moi avions continué la musique alors que Clint y avait renoncé. Alors
quand je l'ai invité à jouer avec moi dans The Peer Croup et qu'il s'est
complètement replongé dans le bain, ça a vaincu nos dernières résis-
tances. Si l'on avait su que l'expérience serait aussi amusante et exci-
tante, on s'y serait mis plus tôt! Mais bon, je crois qu'aucun d'entre
nous ne se sent très à l'aise avec la nostalgie. Et même à petite dose,
il en faut pour relancer un projet vieux de vingt ans.
CC: Sauf que la nostalgie célèbre un souvenir commun, alors
que là, il n'y a pas tant de monde que ça pour se souvenir de
nous !.(Rires) Ce n'est pas comme si l'on proposait aux gens de
revivre leur adolescence à travers Mission Of Burma... Si cer-
taines personnes ont entendu parler du groupe grâce au bouche-
à-oreille aujourd'hui, nos premiers concerts étaient plutôt vides,
crois-moi ! J'en conclus que ça nous disqualifie du club des vieux
nostalgiques.

G : C'est sûr qu'il y a au moins vingt fois plus de gens, moi
compris, prêts à vous accueillir qu'à l'époque. L'excitation
autour de vos retrouvailles s'en trouve décuplée...
RM : Lors de notre premier concert "du retour", à New York, j'ai
vu une trentaine de personnes chanter à l'unisson les paroles d'un
de nos morceauxJesplus obscurs, Playland. Pourtant, en 1982, il
passait complètement inaperçu. C'est incompréhensible !
CC: En fait, je me sens bien plus à l'aise aujourd'hui avec notre
musique. On joue mieux, plus fort et plus librement.
PP: Moi, je n'avais pas touché ma batterie depuis six ans, donc je
ne me considérais plus vraiment comme un batteur. Je n'avais pas
réalisé à quel point j'aimais encore ça.

G: Mais ce n'est pas comme si chacun se définissait
dans le groupe par son rapport à l'instrument, que vous
semblez seulement utiliser pour servir le but recherché.
J'aime beaucoup cette description de notre démarche, elle est assez
juste. Mais certains groupes ont eu plus d'amplitude que nous à ce
niveau-là, en échangeant leurs instruments, en improvisant sur le
tas... Nous ne sommes pas totalement ouverts, il y a une structure
définie dans ce que l'on fait. Nous aménageons des espaces de
liberté, mais les chansons sont assez dépouillées, finalement.

G : Votre nature rythmique est assez singulière, pourtant.
CC: Au début des 80's, le truc énorme, c'était la dance-music, ça
allait de New Order à Flock Of Seagulls en passant par ESG. Mais
on ne s'est jamais résolu à faire coller cet élément à nos morceaux.
On nous a beaucoup comparés à Gang Of Four, mais ça m'a toujours mis mal à l'aise, même si je vois d'où ça peut venir. Disons
qu'on n'a jamais donné dans le funk, ni dans l'agit-prop mais
qu'on a utilisé certaines techniques similaires.
RM: Cela n'empêche qu'on a énormément joué avec eux à
l'époque. La première fois qu'ils sont venus aux États-Unis, ils sont
même restés dormir chez nous. Et depuis toutes ces années, on a
entretenu cetre amitié, en particulier avec Hugo Burnham (nd Ir.
batteur originel du quatuor de Leeds).
PP: Moi, je reste un inconditionnel de ce groupe, c'est physique.

G: Et toi, Bob, que faisais-tu quand Mission Of Burma
-s'est formé en 1979?
Bob Weston: J'étais à l'école primaire !
PP : Je l'ai rencontré pour la première fois en 1988 quand il est venu
auditionner pour la place de bassiste dans mon groupe, The Volcano
Suns. Il a quand même eu le culot de nous avouer qu'il était fan de
The Police et U2. (Rires.)

GC: Et tu as réussi à survivre à l'entretien malgré ça ? Je suppose qu'à
partir de ce moment-là, tu as dû te sentir basculer dans le côté obscur. Pour ne jamais en revenir...
PP: Justement, je crois que ce qui m'a plu c'était son attitude: tous les
mecs qui étaient venus ce jour-là étaient des putains de branchés ! Et
lui, il était là avec son tee-shirt naze et sa paille entre les dents. (Rires.)
RM : Bab a aussi produit Consonant, le projet de Clint, et joué de la
trompette dans mon ensemble de musique de chambre électronique.
Il a travaillé avec chacun d'entre nous avant de devenir membre de
Mission Of Burma ! Et bien sûr, c'est le bassiste de Shellac.

GC: Votre processus créatif a-t-il changé depuis toutes ces
années?
RM: Non, pas du tout. La méthodologie est identique.
CC: Peter amène ses chansons informes...
PP: ...informes, indomptées, inutiles. (Rires.)
CC: Et puis, on construit autour.
PP: En fait, je leur donne des structures ouvertes au sein des-
quelles ils remplissent tous les blancs possibles.
RM: Qu'importe si ses chansons semblent terminées, car elles
seront de toute façon soumises au traitement MOB. Tout le monde
ajoute son grain de sel: ça va du bouleversement total de l'architecture du morceau au choeur le plus insignifiant.
PP: Plus jeunes, on s'imaginait naïvement qu'un groupe était un
ensemble démocratique, ce qui est plutôt rare, en général. Mais,
par un étrange fait du hasard, on y est arrivé. C'est quand même
incroyable de voir une formation encourager le batteur à écrire des
chansons!
RM : Quand on a débuté, je croyais que ça allait être MON truc.
Et puis, Clint est arrivé avec son tout premier morceau, Peking
Spring. Je me suis demandé comment il avait pu écrire une chanson aussi puissante. Mon ego en a pris un coup mais aujourd'hui,
c'est si loin de mes préoccupations...
PP: L'essentiel, c'est que tu aies accepté cette altération sans rechigner.
CC: Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu de conflits entre nous,
mais l'alchimie est telle qu'on a toujours gardé le même respect les
uns envers les autres.

GC: Je connais un mec à qui ces histoires pourraient servir...
PP: On imagine... Passons à autre chose, trop de douleur là-dedans, non ? (Sourire.)
G: Peu de chansons m'ont autant ému que Fame
And Fortune, That's When I Reach For My Revolver
et Einstein's Day. Vous souvenez-vous de leur genèse ?
RM: J'ai écrit le riff d'Einstein's Day alors que j'étais en pleine
transition entre The Moving Parts et Mission Of Burma. J'ai tout
de suite su que Clint succomberait au refrain. Et je ne me suis pas
trompé parce qu'il est devenu hystérique quand je lui ai joué.
(Rires.) Le deuxième couplet parle d'un de mes rêves. On se trou-
vait sur une plage, avec Clint, à tranquillement déconner. Soudain,
une décharge de couleurs nous frappait de plein fouet et, à chaque
nouvelle secousse, on devenait de plus en plus émerveillés.
CC: Ouh là, tu m'inquiètes... (Rires.)